Il n’y a pas si longtemps, j’attendais patiemment sous un sapin, caché dans un carton et enveloppé dans un beau papier brillant. J’étais impatient de dévaler les rues atypiques de ce lieu encore inconnu que j’attendais de découvrir.
À la place, une dispute phénoménale a éclaté le jour de Noël. Le petit Adam avait ouvert son cadeau aux premières heures du jour. Il n’avait presque pas fermé l’œil de la nuit, avide de déballer son énorme paquet. Un cri de joie a réveillé toute la maisonnée. Il m’a enfourché, et sans plus attendre, à pédaler comme un pro sur les graviers du chemin qui menait au portail. Il hurlait : « merci, maman, merci, papa. Je suis le plus heureux du monde ! » Il se débrouillait comme un as, dérapait sur les graviers comme un athlète de vélocross. J’étais comblé, car j’accomplissais ma mission de vie : « faire le bonheur d’un enfant ! »
Ces débuts idylliques n’ont malheureusement pas duré très longtemps. Si seulement dans mon usine, une âme charitable m’avait prévenue de la fragilité de l’égo de certains humains ! L’oncle d’Adam, bourru, chancelant et éructant dès le petit déjeuner, est devenu tout rouge lorsqu’il nous a vu nous amuser ensemble. Et pour quelle raison stupide, me demanderiez-vous ? Parce que ma couleur était rose Barbie ! Oui, rien que pour cela ! Faut-il être le dernier des sots pour entrer dans une telle colère à cause d’une couleur ?
« Le rose c’est pour les filles, vous allez en faire une tafiole » ! Je ne sais pas qui d’Adam, ses parents ou moi-même a été le plus choqué.
La maman du petit garçon a répondu au malotru que son fils avait choisi cette couleur, que l’on n’était plus au moyen âge et qu’il fallait arrêter les injures homophobes et de genrer les couleurs.
La discussion a dégénéré en empoignade sans précédent. Adam et moi, nous nous sommes cachés dans la niche du chien qui lui, jappait et mordait le tonton qui était au bord de l’apoplexie. De la bouche de ce dernier sortaient des noms d’oiseaux et des insultes que la décence m’interdit de reproduire ici.
Aujourd’hui, j’ai vu passer dans le ciel des ballons en forme de cœur. Combien de jours et de nuits sans sommeil se sont écoulés depuis que l’oncle malveillant m’a arraché des mains d’un Adam en pleurs, pour me jeter de toutes ses forces, dans les eaux glacées de la rivière ? Je n’en ai aucune idée. Mes rayons, mon cadre, ma selle, tout est envahi par des algues visqueuses qui me rongent et me minent le moral. Au lieu de finir mes jours au chaud dans un garage, non, je croupis dans la vase. J’ai comme l’impression de ne pas être seul, car il se passe des événements surnaturels autour de moi. En effet, je ressens les énergies désespérées d’un morceau de bois vernis qui moisit dans l’eau. Je pense qu’il appartient à une pauvre chaise qui a subi le même sort que moi. Il me vient alors à l’esprit une idée, car je suis persuadé que nous ne sommes pas seuls, maltraités de la sorte.
À défaut de nous tenir compagnie de loin, nous pourrions créer un mouvement de révolte contre les humains qui nous jettent n’importe où ! Nous pourrions l’appeler MALO : le Mouvement de l’Affranchissement et de la Libération des Objets. Je vais lancer l’idée autour de moi, j’espère que la chaise ou autres objets jetés par l’homme vont me contacter.
Je vous tiens au courant.
