La tente qui échoua

Une lectrice me dit que cela fait longtemps que je n’ai pas publié d’histoire sur les objets.
C’est vrai, j’ai été bien malade et le cerveau tellement dans la brume qu’il m’a été impossible d’écrire quoique se soit à part quelques phrases par-ci par-là.
L’écriture de mon prochain roman pour un concours m’accapare également.
Et puis quoi, encore un texte sur les objets abandonnés  !
Cela me désespère de voir toujours plus de déchets finir leur vie loin de leur destination finale: les poubelles.
J’aimerais beaucoup ne plus avoir besoin d’écrire d’histoires sur les objets maltraités et abandonnés, mais malheureusement, vu le peu de considération que les hommes ont pour notre Mère Nature, mes histoires ont encore de beaux jours devant elles.

Aujourd’hui c’est une histoire de tente, non pas la femme de mon oncle, mais une tente quechua, qui échoua au bord d’une rivière.
Voici son histoire :

J’ai abrité du froid et de la pluie, des aventurières.
Je me suis pâmée sous des aurores boréales, près des neiges éternelles.
J’ai admiré des soleils levants sur des jours remplis de promesses.
Toujours portée sur le dos de marcheuses courageuses.
J’ai vu du pays, loin des villes polluées et du béton si triste.
J’ai dormi près de lacs à la montagne, où l’air est si pur
qu’il vous donne une belle énergie.

Puis les séjours se sont raréfiés.
J’ai été reléguée sur une étagère,
dans une cave humide ou sordide.

D’où je viens, comment j’ai été conçue m’importe peu,
c’est mon utilité qui m’importe.

J’ai été remplacée par plus grande, plus neuve que moi.
Les humains nous jettent toujours,
nous les objets, lorsqu’ils ont trouvé un remplaçant.
Ils se lassent si vite, regardent tellement de pubs sur leurs écrans abrutissants
qu’ils sont sans arrêt happés par de nouveaux gadgets.
Ils appellent cela  « avoir un bon pouvoir d’achat ».

Parfois si vous êtes bien lotie, ils vous donnent une autre chance.
J’ai eu l’honneur d’une seconde vie, dans une contrée glaciale,
aux pluies et au vent furieux.
J’ai protégé des gens un peu comme moi,
qui ont été poussés par des vents contraires,
exilés de leur terre natale,
loin de leur habitacle, de leur famille.
À la recherche d’une place au chaud
d’une part du gâteau qui rapetisse jour après jour,
car ce sont toujours les mêmes qui se goinfrent

Brusquement, un sinistre matin d’hiver,
des hommes portant cagoules et armures de plastique
sont venus me lacérer,
et jeter hors de mon antre protecteur
des réfugiés qui ne demandaient qu’un peu de dignité
et une chance de continuer leur vie
loin des guerres et des famines.

Je ne sais pas ce que mes protégés sont devenus.
Pour ma part, j’ai filé aux quatre vents,
je me suis accrochée à des fils de fer barbelés,
déchirée de toute part,
J’ai échoué dans des parkings hostiles

Là d’où je vous parle, je suis abandonnée sur un terrain vague.
On m’ignore, on me marche dessus.
Plus personne ne fait attention à moi,
à part celle qui écrit mon histoire.
Et je n’ai même jamais eu la chance de voir la mer !

la tente qui échoua
la tente qui échoua

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