Je t’ai dans la peau

Elle s’est assise sur le fauteuil en cuir dans le salon de tatouage.
Elle a installé le membre supérieur sur le repose-bras.
Sa main est offerte au ciel, comme une offrande, dans une attente mi-figue mi-raisin.
Chaque personne est unique, différente,
mais toutes ont ressenti, à un moment ou à un autre, du stress,
la perception d’un futur proche que l’on imagine douloureux.
Apparemment, les êtres humains ont de la difficulté à rester dans le présent.
C’est pour cette raison qu’iels ont peur.
Iels anticipent trop ce qui pourrait leur arriver.
Et comme iels ne sont pas devins, la crainte les empêche de se précipiter dans la gueule du loup,                                                                                 d’explorer de nouvelles contrées sauvages, et inéluctablement d’essayer d’inédites expériences.
Fort heureusement, iels ne sont pas tout.e.s comme cela.

Si je vous raconte tout cela en préambule, c’est que j’en ai piqué des épidermes !
Des jeunes, des vieux, des fous ou des sages !
J’ai injecté mon encre dans des peaux douces ou parfois rugueuses.
J’ai tatoué des nuances de peaux différentes, comme un  Pantone de l’humanité.
Toutes les couleurs se valent !
Je ne suis pas là pour discriminer, mais pour imprimer le souhait du modèle.
Dès le premier point — je n’aime pas évoquer une piqûre, je ne suis pas une dame des piqûres — je transperce l’épiderme.
Pourtant, je reste en « surface » beaucoup moins en profondeur que ce que la légende raconte.
Et délicatement, dans les mains expertes de la tatoueuse, le sens des dessins se précise.

Les premières appréhensions se dissolvent aussi vite que l’encre sous la pluie.
J’observe le plaisir de certain.e.s, un pacte avec soi-même pour conjurer les maux.
Parfois, je distingue la sensation d’une légère douleur qui s’envole comme un papillon au moindre mouvement.
Le symbole apparaît lentement, dans le creux de la peau.

Je pique un peu, beaucoup, passionnément.
Je laisse ma trace en noir ou en couleur.

Je navigue sous la peau, mon encre sert d’ancrage,
afin de se souvenir des joies, des amours
ou conjurer des traumatismes ou des défaites,
comme un post-it éternel.
Car si les mots s’effacent,
mon encre, elle, ne s’évapore jamais.

ps: merci à Adèle Blanche pour ce moment d’inspiration et de partage 🙂

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